“Il est certain que parmi les monuments sacrés, la caverne offre un cas particulièrement impropre à la systématisation architecturale de la décoration. Univers déconcertant, elle n’est pourtant pas un univers déroutant et l’homme moderne y voit en termes d’architecture terrestre une entrée, des salles, des passages, des couloirs, des alcôves, des culs-de-sac. A ces images génératrices d’un ordre rassurant se superpose un autre monde d’images désordonnées, nées des volumes inconstants des parois; ces images sont empruntées pour une part à l’architecture (colonnes, draperies…) pour une autre part au monde familier ou étrange (arbre de Nöel, Vierge et enfant, betteraves vues par-dessous, concrétions en chou-fleur, animaux…). Enfin un troisième train d’images, moins conscientes, forme un fond assourdi qui se reflète dans l’assimilation de la caverne à un corps (boyau, entrailles, sein de la terre) et par ce qui transparaît dans de nombreuses traditions folkloriques et dans la psychanalyse, d’assimilation à un corps féminine. L’humanisation spatiale, le rapport à des objets connus, les résonnances physiologiques ne sont pas des faits propres à l’homme modern mais relevant d’un système de référence humain au sens le plus large. S’il y a lieu de ne manier qu’avec prudence la comparaison ethnographique, il n’y a pas des raisons pour refuser de vérifier l’application éventuelle d’un schéma aussi général à l’homme paléolithique. La préhistoire traditionnelle lui a accordé sans peine le second point: on ne pouvait pas nier que les paléolithiques aient vu des cuisses de chevaux, des corps de bison, des têtes dans le relief des parois. On a même cite, à Gargas et à Pech-Merle par exemple, des cas de détails naturels dont la décoration montrait l’assimilation à des organes féminins (vulve, seins). Ce n’est pas dépasser les limites de l’objectivité que de tester les trois aspects de l’intégration spatiale de la caverne et de rechercher: 1) si les paléolithiques ont transposé l’espace terrestre; 2) comment ils ont vu dans les accidents de paroi des objets précis et 3) dans quelle mesure la caverne était perçue comme l’intérieur d’un corps.”
André Leroi-Gourhan in L'art pariétal - Langage de la préhistoire (Édition Jérôme Millon, 2009, pp. 197-198)
Gruta de Altamira (Cantábria - Espanha)
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